Quand je pense à la ville ...
Photographie de Cyril PICCHIOTTINO
LIEN : http://cpicchio.free.fr/paris_nb/paris_nb1.htm
Quand je pense à la ville , je pense à toi .
Et puis, je sais bien qu'il faut que je vois autre chose que ton image dans ma petite tête !
Ton image m'enferme dans un rêve immobile, dans du papier blanc à noircir un jour ou l'autre avec mon petit crayon .
Alors, je t'efface un petit peu de ma cervelle et je me souviens des murs ; la ville pour moi ce sont d'abord des murs ; et on ne sait jamais vraiment ce qu'il y a derrière .
Ils protègent ou ils cachent ?
Cela dépend des saisons .
Ils enferment aussi et c'est un mot que j'adore, enfin, manière de parler, comme toujours !
On peut en revanche immédiatement lire ce qu'il y a devant les murs, graffitis et affiches, du papier, pas blanc cette fois .
Les murs, je les regarde comme s'ils n'avaient pas d'épaisseur, comme s'ils étaient uniquement plats .
J'aime imaginer que je les attrape par le bas, par la jointure entre le trottoir et la façade et que je les enroule, pour voir ce qu'il y a derrière ou dedans bien évidemment car je suis curieuse ; ça m'abime les ongles de les rouler ainsi .
Quand je pense à la ville je me dis qu'il y en a trop de murs finalement et que je n'aurais pas assez de mes deux mains pour les dérouler correctement .
Quand je pense à la ville, je revois tous les clichés que j'ai pris .
Ce n'était pas eux, pas les murs que je voulais photographier quand je me suis acheté mon premier Nikon , mais toutes les personnes qu'ils enfemaient .
Les murs ils étaient encore plus sombres que les gens et moi, j'adorais les couleurs .
Je les adore toujours les couleurs et elles me manquent en ville ; surtout le bleu .
J'avais envie de faire de la photo .
Mais comme je n'osais pas faire des clichés humains, je me contentais des parois lisses, grises, sales et silencieuses en attendant ...
Les murs, ça ne parle pas à voix haute et ça ne s'adresse à personne en particulier ; l'absence de dialogues me convenait tout à fait alors .
Le silence d'éventuelles inscriptions ne m'agressait pas les oreilles .
Je me levais tôt pour prendre le premier métro et je guettais les femmes et les hommes partant au travail .
Je me postais à la sortie de quelques stations animées, dans des quartiers stratégiques .
Et puis, je n'osai pas les photographier tous ces gens .
Je me trouvais indécente de chercher à immobiliser des inconnus sur du papier glacé dans le seul souci de montrer leur visages , leur fatigue, leur grisaille ; dans le seul souci de les immortaliser tels quels ; des citadins allant au boulot , calmement .
Je n'avais aucun point commun avec eux, j'habitais ailleurs ; je vivais autre chose, sans paroi verticale ; je vivais l'horizon mais j'étais fascinée , fascinée par leur vie que j'imaginais, si tôt le matin, à la sortie des bouches de métro .
Je me demandais comment on pouvait tous les jours ou presque s'engouffrer dans le labyrinthe sous-terrain .
Ca me stressait un peu de penser qu'un jour peut-être je ferai comme eux .
Je me maudissais de ne pas avoir de télé objectif pour capter leurs regards .
Je pensais en acheter un , plus tard .
Alors je tournais légèrement ma tête et le boitier puis je cadrais les murs .
Clic clac, des murs, des murs, j'en ai photographié beaucoup .
Ils sont grands, immenses ces murs, mais souvent défraîchis .
Les couleurs sont passées et ne racontent rien .
Pourquoi on ne les repeint pas avec du bariolé, de la gaité, du vert pomme, du rouge vif, du jaune d'or ?
Pas assez de contrastes dans cette ville , pas sur les façades en tous cas .
Pas comme il le faudrait , voilà .
Les couleurs des murs de la ville font tout pour qu'on les oublie .
Elles sont bêtes les couleurs de la ville .
On ne doit pas chercher à être oublié !
Quand je pense à la ville je pense à toi .
Je ne t'oublie pas .
La probabilité d'une rencontre impromptue dans les rues est nulle .
Alors je ne te cherche pas .
Je pense et c'est déjà ça .
C'est une bonne chose tout compte fait de rester immobile, ailleurs, en retrait .
Je me souviens que tu as disparu parmi une masse d'inconnus dans une rue dont le nom m'échappe ...
Ca m'a fait rire, pas que tu disparaisses, bien entendu , mais le mot masse ; ça m'a rapellé les foules grouillantes de la ville, justement .
Ca m'a replongé des années en arrière quand je ne pensais pas à toi mais à quelqu'un autre .
Un jour, je l'avais croisé par hasard dans la masse et j'avais trouvé ça incroyable de retrouver quelqu'un de la sorte .
J'ai eu envie de crier ton prénom , pour que tu sois singulier parmi tous ces passants, singulier parmi tous ces souvenirs aussi .
Mais je me suis retenue .
Malgré ma voix qui porte .
Ca aurait été con, une fois de plus ; chercher une dernière parole, un dernier regard ...
Et pourquoi ?
Et pourquoi dernier d'ailleurs ?
On n'est pas en rupture .
On n'est en rien du tout .
Est-ce ça qui me fait rire ?
Probablement .
Quand je pense à la ville je me sais aussi capable d'interpeller n'importe qui, comme ça , pour le plaisir de la conversation et je reste muette souvent pourtant sur les trottoirs, car les passants n'ont l'habitude que des interpellations intéressées ou musclées ; ça dépend de l'heure, du quartier, des circonstances politiques, de la vie, de l'époque et de tout ce qu'on ne maîtrise pas ...
Quand je pense à la ville, je sais qu'on ne maîtrise pas sa survie, justement ; c'est affolant d'être si entourée et si vulnérable .
C'est toujours un peu ça que je ressens au fond de moi dans la ville .
Quand je pense à la ville , je pense à toi , au quartier où tu habites et que je connais peu .
Mon frère y a habité aussi, mais il m'emmenait en balade ailleurs .
Quand je pense à la ville , je pense à lui souvent, perdu et sans murs fixes et ça me provoque un petit pincement au coeur .
Dans cette ville il y a, comme partout, les coins connus, incontournables et les autres, ceux où les gens vivent banalement ou aimeraient tout simplement pouvoir vivre .
Des rues qui se croisent, qui se croisent, un défilé de chaussées et de trottoirs ... une avanlanche de vrombissements, de pollution, de bruits, d'odeurs , de vitresse, de solitude ... et les fameux murs pour encadrer tout ça .
Quand je pense à la ville je pense au désert, par contraste ; à la masse des grains de sable .
Je n'ai jamais vu un trottoir vide dans ta ville enfin, dans cette ville qui n'est à personne et à tous et c'est ça qui est bien ; c'est bien ce qu'on s'est dit en en parlant, tu te souviens ?
On se l'est appropriée, comme le font des millions d'autres .
Quand je pense à cette ville, je me dis que c'est incroyable que tant de gens la visite , celle là justement .
Je fais comme eux de temps en temps aussi en ayant l'intime conviction qu'elle m'appartient un peu ; je connais les numéros des arrondissements, le nom des stations de métro, quelques boutiques, quelques cinés, quelques immeubles, quelques restos et du coup par enchantement elle devient à moi aussi cette ville !
Ca m'amuse !
Les autres villes à côté ce sont des hameaux .
Ca peut paraitre pas très gentil ce que je dis là pour les autres villes !
Mais je m'en moque, c'est une image, tu l'as bien compris !
Et puis j'aime bien les hameaux ; il y a des murs moins hauts et très souvent ils sont fait de belles vieilles pierres, sans inscription, juste avec des lézards qui paressent au soleil ...
Annick SB