Protocole.

Publié le par Annick Brillant

 
Ils ont des robes noires et des cols de fourrure.
Tu les regardes.
Tu n'as jamais vu ça.
Tu ne parles pas.
Tu ne sais pas véritablement pourquoi tu es là.
Qu'as-tu fait ?
As-tu décidé quelque chose ?
Ou la vie t'a pris de court, comme ça, comme souvent depuis six ans ?
Tu dois y être.
C'était écrit.
Tu ne sais pas lire.
Mais on t'a dit que c'était écrit, qu' il fallait y aller, que ça allait changer ta vie .
Tu ne veux pas que ta vie change, pas tout le temps, pas maintenant, surtout pas, non.
Tu es bien.
Tu as peur aussi.
Tu as  senti qu'il se passait quelque chose d'important.
Mais tu ne sais pas vraiment ce que c'est.
 
Avec leur robe noire et leur col de fourrure , ils te paraissent grands, plus grands que les autres personnes qui sont présentes aussi .
Il y a beaucoup de gens dans ce long couloir.
Ils attendent comme toi.
Ils ne parlent pas.
Chacun a l'air préoccupé, à, sa manière.
Ne pas  montrer aux autres que tu l'es .
Ils ne te regardent pas dans les yeux.
Tu te sens seul.
Et pourtant tu  es accompagné.
Tu as toujours été accompagné, même quand ...
Le paradoxe est un mot que tu ne connais pas ; tu le vis seulement.
Tu attends.
 
C'est ton tour.
Tu entres dans une très grande salle.
La table est immense, vraiment immense.
Tu te souviens que tu n'avais jamais vu de table avant.
Tu n'avais jamais vu de table comme ça .
On t'installe sur un grand fauteuil.
Tu ne peux pas t'adosser sinon tes pieds touchent le velours et elle t'a regardé en te faisant signe de ne pas les poser dessus.
Tu as compris son signe.
Tu l'aimes.
Elle t'aime.
Tu ne mets pas les pieds sur le fauteuil.
Elle n'est pas comme d'habitude.
D'habitude elle te serre, elle rit, elle parle.
Là, elle est sur un autre fauteuil et elle se tait.
Et lui aussi.
Il t'aime.
Tu le sais.
Ils sont tous les deux de part et d'autre de ton siège.
Tu ne peux pas être sur leurs genoux, ni à elle, ni à lui.
Tu réalises que c'est la première fois que tu ne peux pas les toucher.
Tu cherches la bêtise que tu as pu faire pour qu'il soient si éloigné de toi .
Tu ne la trouves pas.
 
Une dame avec sa grande robe noire et son col de fourrure blanche parle.
Tu entends ton nom.
Elle le prononce mal.
Mais tu ne dois rien dire.
On ne te demande rien.
Tu as même l'impression qu'on ne te parle pas vraiment.
Mais tu es là et on parle de toi.
 
 
On te demande de retourner dans le couloir.
Encore attendre.
D'habitude tu bouges, tu souris, tu vis.
Là tu es tétanisé.
Tu as peur.
Tu ne sais pas ce que tu as fait.
Tu ne bouges pas.
 
Ils reviennent te chercher longtemps après.
Tu t'assoies sur le même fauteuil et eux aussi, chacun sur le sien, de part et d'autre.
 
La dame avec sa longue robe noire et son col de fourrure blanche parle de l'autre côté de l'immense table.
Elle a le sourire maintenant.
Tu entends ton nom.
Ils l'éppellent, pour être sur que c'est bien toi peut-être ?
Tu entends les lettres et ça te rassure car tu les connais par coeur les lettres de ton nom.
Tu ne sais toujours pas ce que tu as fait.
 
Voilà, c'est fait.
Tu sors avec eux.
Ils sourient.
On  les félicite.
Ils remercient.
Pudeur.
Toi tu regardes la longue robe noire avec le col de fourrure  de toutes ces personnes en tournant la tête tout en avançant.
Tu donnes la main à ton papa et à ta maman qui t'aiment et tu ne laches pas du regard les longues robes noires et les cols de fourrure.
 
Il parait que maintenant tu es français .

Annick SB
 
 

Publié dans enfance

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D
quelles sensibilté et quel sens de l'observation... celles d'une maman que j'espère ressentir bientôt -j'ai aussi beaucoup aimé "ne pas savoir" <br /> j'admire ce que tu écris et découvre ce talent caché !!!<br /> amicalement <br /> delphine
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A
Bonne chance à toi Delphine, dans tout ce que tu entreprends pour être un jour assise sur ses grands fauteuils ... et merci de ton passage .
D
et voilà le sort scellé d'une vie, comme à la loterie, si le col en fourrure est de bonne humeur, une existence sera sauvée, ton texte Annick est d'une intensité rare et mériterait une autre diffusion tellement il constate et dérange, tellement il décrit cette aberration et la souffrance de l'enfant<br /> au travers ce que tu écris, j'ai au moins le sentiment rassurant qu'il reste encore des âmes humaines
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A
Les âmes humaines sont éternelles,rassurantes et à chaque fois renouvellées ....
G
Ce n' est qu' une mère ...une vraie mère....qui peut imaginer les émotions éprouvées par un enfant. Le coeur de la mère et le coeur de l' enfant, la vie et la poésie....tout se mele...en s' enrichissant mutuellement.BISES, BISES!
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A
Merci Gracha ! observer son enfant dans des situations pour le moins inhabituelles ... et puis le retranscrire pour lui transmettre amour et vie et vous le faire partager, comme on montre une photo de son nouveau né.là, c'était pas un cliché...  et c'est bien d'être mère ,  hein !!!    ( sourires .... )
R
Joli texte très émouvant, bravo :)<br /> <br /> http://forums.poesieland.net
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A
Merci Réjane .
R
Un bien beau texte qui m'a donné le frisson, Annick...
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A
contrainte d'inférence ... et vie familiale mêlée ... je ne sais pas si le texte est beau, mais il est VRAI !!!Merci Viviane .