Les tournesols .

Publié le par Annick SB





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C'était en août, ça j'en suis sûre .
Le train filait vers la Roumanie et je n'avais jamais vu autant de champs de tournesols.

Merveilleuses couleurs à perte de vue...
 
Je ne me souviens pas de la date exacte du voyage.
Août 1973 ? 1974 ?
Je sais que les dates précises sont importantes pour certains, dans les livres d'histoire, dans les conversations ...
Mais bon, important pour les autres, pas pour moi.
Mon cerveau n'a jamais retenu les chiffres , que les émotions .
 
Je crois que je n'ai jamais eu  le courage, ni la patience d'aller chercher la précison de cet évènement là .
Même maintenant je n'arrive pas à le faire .
Peut-être pour continuer de croire que ce n'était qu'un cauchemar, oui, c'est ça, continuer de penser que comme souvent, j'avais rêvé .
Que ça ne pouvait pas être vrai .
 
C'est  pourtant précis ce souvenir .
 
On nous avait prévenus dès le départ :
- Dans le camp, il y aura des enfants de tous les pays et certains d'entre eux seront très tristes car  leur pères sont condamnés à mort ; la sentence sera appliquée pendant votre séjour  en Roumanie .
C'était une phrase très lourde, un truc incompréhensible ; une chronique d'une mort annoncée un peu particulière .
 
Le train filait...

Tournesols, tournesols à perte de vue ... c'était magnifique .
 
 
Un matin, on était rassemblés dehors dans une immense cour .
Presque toutes les nationalités étaient présentes , une dizaine d'enfants par pays .
Tout le monde portait l'uniforme :  shorts, chemisettes, écussons ...de couleur variée selon les patries .
Ce voyage ?
Une occasion rêvée de comprendre !
L'espace, le temps...
On m'avait convaincue  d'accepter tous ces rituels débiles  et ça avait été difficile ; de toutes façons cet été là , la Provence , la mienne,  ma campagne, mon enfance, étaient en train de se perdre sous les eaux
- construction d'un barrage - 

une autre date, un autre fait.
Alors ici ou là ; j'aurai au moins un souvenir ...


Un souvenir, oui, j'en ai un , un terrible .
 
C'était la première fois que je participais à un camp international, la dernière aussi .
Je me souviens que je regardais attentivement les mongols car le mot me faisait encore rire .
Et aussi  les très belles nattes des filles russes avec les rubans colorés attachés aux mèches .
Je prenais conscience que le mot cliché voulait dire quelque chose et cela m'affolait déjà .
Je regardais les vietnamiens et je trouvais qu'ils se ressemblaient tous et ils me faisaient penser à la fille adoptive de ma prof de français .
J'observais les canadiens car leur moniteur était très marrant avec ses longs cheveux roux et ses dents en avant ; il y avait même des américains et ça c'était aussi très bizarre .
Et les italiens surtout, je les observais avec insistance, vraiment, car Mauro, brun aux yeux noirs, ne me déplaisait pas et mon petit coeur chavirait déjà !
Quel regard il avait !
Bref, on allait vivre un mois de déconnade, je le sentais et en même temps il y avait une certaine tension dans l'air .
On nous avait prévenu .
On était  très nombreux mais je ne ressentais pas ma peur habituelle de la foule.
Peut-être parce qu' on avait tous à peu près le même âge.
Peut-être parce que Mauro me regardait ; je n'étais pas seule .
 
Ils savaient tous marcher au pas , nous pas .
" Nous " , c'était les français et les italiens justement.
Rien que ça c'était déjà drôle .
 
Ce jour là, quand on a été tous regroupés, on a chanté l'Internationale .
 
On a fait une levée de drapeau, en silence  puisqu'on rendait hommage aux pères de nos copains de camp qui venaient d'être garrottés le matin même à Madrid .
 
 
Ce sont des têtes, des cous qui ont été garrottés un matin d'août .
Je ne savais même pas ce que ça voulait dire avant le voyage, garrottés .
 
                         - GA   RRO   TTES -
 
Le mot me traversait l'esprit et je me demandais comment mes amis pourraient  vivre ensuite en devenant  orphelins de la sorte .
 
 
Nous étions en vacances.
Nous  étions  regroupés dehors par pays.
Nous étions venus là pour nous amuser.
 
Mais on s'amusait pas du tout ce matin là .
 
Je n'arrivais pas à regarder du côté des espagnols parce que ça me paraissait fou qu'on ne puisse rien faire d'autre que de chanter et de lever un drapeau à ce moment précis.
J'aurai aimé être plus grande que l'horreur , plus forte que l'injustice ; j'aurai aimé ne pas ressentir la rage de l'incompris et la honte du survivant qui se mêlaient dans mon coeur .
 
Les pères de ces enfants étaient tout simplement des militants communistes, comme mes parents .

Annick SB

Publié dans enfance

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D
lutter, toujours...
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A
Devoir de mémoire, même quand on en a peu !Merci à vous trois .
N
ça percute le coeur,le texte et le petit mot signé maman ... et le mot garroté (pour rendre l'horreur moins insupportable, moins crue ) <br /> Pas de mots. Juste le silence .
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M
<br /> une expérience qui a fait son chemin dans la voie d ' une vraie MONDIALISATION humaine .....<br /> MERCI d'y être associés
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