Dans le frigo .

Publié le par Annick Brillant

Je suis depuis toujours fascinée par les faits que l'on dit divers . Ils se répètent au gré des années, des pays, et ils représentent pour moi une source inépuisable d'interrogations sur le sens de la vie, des vies, de l'histoire, des histoires humaines.
Et j'aime les histoires humaines car je suis curieuse de vous ...

L'actualité récente me donne envie de vous livrer ce texte, écrit l'hiver dernier à partir d'une consigne précise où l'on devait imaginer ce qu'il advenait de la lumière du frigo une fois la porte de celui-ci fermée .

Bonne lecture .

L'amour maternel existe ; je l'ai rencontré ...

- Mademoiselle, est ce vrai que ...

- Oui, j'ai fait ça .

- Mais ça a été facile à réaliser ?

- Oui, c'était enfantin .

- Et vous ne regrettez pas votre geste ?

- Non, je ne regrette pas ; je n'ai jamais rien regretté de ce que j'ai fait .
 Pourquoi regretter ?

- Mais enfin, c'est abominable .

- Non, je vais vous raconter, en fait, c'est simple .

Plusieurs fois d'affilé, là, bêtement, je me suis pointée ce jour là devant mon frigo et j'ai ouvert, puis fermé la porte à la recherche d'une idée, d'une explication ...
J'ai essayé de coincer le petit interrupteur , mais je n'avais aucune assurance qu'il reste coincé une fois le frigo fermé .
J'ai mis du sparadrap, mais bon, il pouvait se décoller ...
Je ne voulais pas que la lumière s'éteigne dès que j'avais repoussé la porte et je me doutais bien qu'elle s'éteindrait .
Mais à ce moment de l'histoire, ça me déplaisait comme idée ; pire que déplaire d'ailleurs ; c'était angoissant à souhait .
Maintenant, et pour quelques jours encore la lumière ne pouvait pas, ne devait pas s'éteindre.
Il ne le fallait pas !
Il en allait de ma santé mentale et vous allez vite comprendre pourquoi ...
Enfant, mon angoisse de l'obscurité était telle que je ne pouvais m'endormir sans veilleuse .
Mes parents avaient tout essayé en vain ; les calins, les menaces, les punitions, le raisonnement ...
On ne raisonne pas les personnes qui ont la trouille aux tripes ; jamais !
Et là, je me mettais à sa place ; il ne devait pas être drôle pour lui, d'être là, recroquevillé dans le froid , alors si en plus c'était dans l'obscurité !
Rrecroquevillé, c'est un doux euphémisme, morcellé plus excactement, morcellé .
Comment allait -il passer la nuit ?
J'avais réussi à l'extraire péniblement de moi, mais j'avais été incapable de le jeter comme prévu.
Je m'étais donné une semaine, une semaine de réflexion pour trouver quoi faire de ce petit corps chaud et visqueux qui s'était étouffé en silence sous mon oreiller .
Je ne me trouvais pas cruelle ; seule la vie l'était ; l'incapacité de l'avenir en fait était cruel , mais pas moi .
Non, là, je ne pouvais pas me sentir coupable ou cruelle.
Je savais que ça viendrait peut-être après les sentiments de regret, de perte et de rage, de culpabilité même qui sait ?
Pour l'instant je dégustais avec saveur le premier sentiment maternel, le seul, celui qu'on ressent quand on donne la vie, dans n'importe quelle condition :

- le sentiment de protection -

J'avais vidé le frigidaire de tout ce qu'il contenait :
une plaquette de beurre
une botte de radis
quelques yaourts nature
un pot de confiture de framboises et un pot de moutarde ...

J'avais désinfecté avec du jus de citron les parois blanches .
Pendant mon ménage, le bébé refroidissait calmement sur mon lit ; ma mère m'avait toujours dit que pour ne pas abimer le frigo, il ne fallait jamais mettre de choses chaudes dedans .
J'étais précautionneuse .
Quelques heures plus tard, j'avais déposé mon bébé sur la clayette, sans layette parce que je n'en avais pas sous la main, pour qu'il se rafraichisse les idées .
Mais en le posant, je m'étais soudainement rappelé que moi, depuis toute petite, j'avais peur du noir ...
Et si lui aussi avait la même peur ?
C'était mon fils après tout .
Il fallait que je trouve un moyen de lui laissser une petite lumière à mon bébé ; je ne voulais pas qu'il ait peur .
D'ailleurs, je compte sur vous pour m'expliquer comment faire si jamais le sparadrap se décolle .
S'il vous plait , vous m'expliquez ?

Annick SB

Publié dans Femmes

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Commenter cet article
M
<br /> Ta compassion , pour un évènement à la limite de l'insupportable . <br /> j'ai connu une mère infanticide : folle ! l'était - elle avant ? nous n'étions pas préparé à accueillir tant de souffrances .Aujourd'hui , on cherche mieux à comprendre .
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A
L'infanticide est certes INSUPPORTABLE . La misère qui l'engendre, hélàs mille fois plus ...
P
Ce n'est pas tant l'ingénuité de la maman qui me fait froid dans le dos, personnellement c'est surtout la misère que l'on devine derrière ses mots si simples et logiques qui plus est ! ...<br /> Texte déstabilisant psychologiquement, et émotionellement.<br /> Pouille Nadège Pouille.
Répondre
A
La misère est omniprésente et nous sommes devenus aveugles et sourds ; mais pour combien de temps encore ?
V
Alors là...<br /> ...<br /> C'est raconté avec une maîtrise qui me laisse pantoise<br /> l'ingénuité de cette maman fait froid dans le dos;
Répondre
A
Une petite note d'humour "spécial rien que pour nous deux Viviane" ! D'accord ? - est ce que je t'ai réconcilié avec les faits divers ? !!!   Sourires et Bises .